J’ai mal dans mon corps, pourquoi m’envoyer chez un psy?

DOULEUR CHRONIQUE

1/29/20234 min read

J’ai mal dans mon corps, pourquoi m’envoyer chez un psy ?

Vous avez mal, depuis longtemps. Et vous avez parfois le sentiment de ne pas être compris(e) par votre entourage, par les soignants. Et pour couronner le tout, on vous propose de rencontrer un psy ?

Beaucoup de patients en Consultation Douleur Chronique (CDC) commencent leur 1er entretien en m’expliquant qu’ils ont réellement mal, et que pourtant certains médecins leur répondent que « c’est dans la tête ».

Comment alors se sentir légitimé, compris, dans sa douleur ? Ces patients se sentent victime d’un jugement de valeur qui met le doute sur l’authenticité de leur plainte.

«La plus atroce offense que l'on puisse faire à un homme, c'est de nier qu'il souffre.»

Cesare Pavese, Le Métier de vivre

La douleur chronique est une douleur complexe qui envahit toutes les sphères de la vie d’une personne. Savoir qu'une épreuve est limitée dans le temps et qu'elle prendra fin tôt ou tard la rend plus tolérable. A l'inverse, si elle est interminable, la souffrance devient insupportable. Elle est anxiogène et déprimante par le fait de souffrir mais aussi par toutes les conséquences sur la vie familiale, professionnelle, le handicap, les incertitudes sur l’évolution de la pathologie, etc.

Constitution d'un syndrome douloureux chronique d’après Boureau, Dimensions de la douleur, in Pratique du traitement de la douleur, Doin, Paris

La douleur est une atteinte dans la chair, physiologique (j’ai mal). En se chronicisant, elle devient au fil du temps une souffrance globale, multifactorielle (je suis mal). Ainsi, la détresse psychologique se rajoute à la douleur physique.

Progressivement, le rapport à l’autre, mais aussi à moi-même est altéré : je ne me reconnais plus, je me sens diminué, avec un sentiment d’impuissance à la fois de moi et de l’autre : « personne ne peut me comprendre », « personne ne peut m’aider ». La douleur chronique isole et accable, c’est un fardeau à la fois physique et moral.

Notre attitude vis-à-vis de la douleur peut aussi être un facteur de chronicisation

Bien sûr, nous n’avons pas tous le même rapport à notre corps et à la douleur :

  • certains sont durs, exigeants avec eux-mêmes, ne s’écoutent pas, voulant faire « comme avant ». Ils luttent contre eux-mêmes, ne voulant pas avoir le sentiment de laisser la douleur gagner mais la réalité les rattrape...

  • D’autres, au contraire sont hyper attentifs à leur corps, avec une préoccupation anxieuse dès qu’une douleur émerge. Ils luttent contre la douleur en voulant refuser de la ressentir. Or, diriger son attention vers la douleur augmente l’intensité perçue et son niveau de désagrément. Ces 2 attitudes entretiennent malheureusement le cercle vicieux de la douleur chronique.

    Le patient douloureux se débat dans un vécu de pertes de son intégrité, de certaines capacités, d’activités qu’il aimait… Il s’agit de faire le deuil de sa vie d’avant, ce qui est très difficile.

    La psychothérapie permet de mieux se comprendre, de soigner certaines blessures du passé et de développer de nouvelles stratégies pour avancer, s’adapter. L’objectif thérapeutique est aussi d’explorer différents pistes pour mieux gérer son anxiété, remettre en question des habitudes de vie pour aller mieux, développer ses ressources pour s’adapter de façon plus souple et retrouver plaisir à vivre, à construire des projets pour enfin se réconcilier avec soi-même…

    Paradoxalement, la douleur peut alors devenir l’occasion de s’initier à une meilleure connaissance de soi, de développer des forces nouvelles pour retrouver une nouvelle façon d’exister qui soit tout de même acceptable

En consultation Douleur Chronique, l’objectif est d’aider le patient à « grignoter cette montagne », et donc d’améliorer sa qualité de vie. Pour cela, la prise en charge se fait en équipe pluri-professionnelle. Ainsi, le patient douloureux chronique sera entouré de son médecin traitant et du médecin algologue (c'est à dire spécialisé en douleur) mais aussi de l’infirmière algologue, du kiné, du psychologue, l’assistante sociale, la médecine du travail, etc. en fonction de ses besoins.

En tant que psychologue, je propose au patient un temps pour se pencher sur l’histoire de cette douleur, comment elle impacte sa vie, son moral, quelles sont ses ressources actuelles, son degré d’épuisement nerveux, etc. L’histoire de la douleur est importante : quand est-elle apparue, de quelle manière, comment elle s’est chronicisée, comment le patient la comprend ? En effet, elle n’est pas vécue de la même manière en fonction du sens qu’on lui donne.

Enfin, si la douleur chronique affecte la santé psychique, un traumatisme, une dépression, un harcèlement, un deuil, etc. peuvent aussi affecter la santé physique et provoquer (ou aggraver) des douleurs inexpliquées. Nous connaissons tous l’expression « en avoir plein le dos ». Nous savons tous que le stress provoque des effets sur le corps (mal de ventre, boule dans la gorge ou dans la poitrine, et autres sensations). Notre corps et notre esprit ne sont pas dissociés et l’un a des effets sur l’autre.

De même, une lésion modérée peut devenir très invalidante sans explication médicale claire : on peut soupçonner alors que des vécus difficiles, des traumatismes, parfois infantiles, sont réactivés dans le présent et viennent entretenir la douleur à l’insu du patient. Ces "noeuds" de l'existence pourront être travaillés en psychothérapie.

Douleur et souffrance morale se retrouvent alors étroitement intriquées, dans un cercle vicieux où l’une aggrave l’autre.